• Dans une ville entièrement immergée, un vieux monsieur résiste encore et toujours à la montée du niveau de la mer. Chaque fois que l’eau atteint son plancher, il est obligé de bâtir une nouvelle maison pardessus la précédente, tant et si bien qu’au bout de dizaines d’années, son logis a fini par ressembler à une immense pile de petits cubes. Un jour, alors qu’il s’est encore une fois lancé dans la construction d’une nouvelle demeure, il laisse échapper ses outils qui tombent tout au fond de l’eau. Il enfile sa combinaison pour aller les repêcher et au fur et à mesure qu’il descend à travers ses anciennes maisons, de lointains souvenirs lui reviennent en mémoire. Commence alors une plongée dans le passé du vieil homme, un retour en arrière tout en délicatesse, comme le film d’une vie entière qui se déroulerait sous nos yeux... à l’envers.


    La maison en petits cubes / Kunio Katô & Kenya Hirata




    Voilà un très bel album aux tons doux et délicats, qui nous plonge dans les souvenirs de toute une vie d'un homme devenu vieux : la rencontre avec celle qui deviendra sa femme, la naissance de leurs enfants, la recherche d'un petit chat perdu, le combat incessant contre l'eau qui monte... Et puis la mort aussi, la solitude.

    Ça aurait pu être une histoire triste, mais c'est au contraire un hommage aux souvenirs qui peuplent la mémoire du vieil homme et l'accompagnent constamment. La nostalgie est l'émotion qui prime dans le récit, une nostalgie légère et émue faces à ces images qui ressurgissent du passé, au fur et à mesure que le vieil homme traverse dans l'eau toutes ces maisons qui sont autant de témoins des jours enfuis.

    Cet album est tiré du court-métrage du même nom, qui a obtenu de façon amplement mérité en 2009 l'Oscar du meilleur court métrage.




    La maison en petits cubes
    Kunio Katô & Kenya Hirata
    Editions Nobi-Nobi
    14.95 €


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  • Depuis que sa mère est malade, Conor redoute la nuit et ses cauchemars. Quelques minutes après minuit, un monstre apparaît, qui apporte avec lui l'obscurité, le vent et les cris. C'est quelque chose de très ancien, et de sauvage. Le monstre vient chercher la vérité.


    Quelques minutes après minuit / Patrick Ness




    "Les histoires sont les choses les plus sauvages de toutes. Les histoires chassent et griffent et mordent."

    Le monstre qui vient visiter Conor la nuit, c'est l'if à proximité de chez lui, qui s'anime quand vient l'obscurité. Aussi vieux que le monde, immense, terrifiant. Et porteur d'une requête particulière.

    "- Voici ce qui va se passer, Connor O'Malley. Je vais revenir te voir d'autres nuits [...] Et je te raconterai trois histoires. Trois histoires du temps où je suis venu. [...] Et quand j'aurai terminé mes trois histoires, tu m'en raconteras une quatrième. Et ce sera la vérité. [...]
    - Bon, d'accord. Mais tu as dit que je serais terrifié avant que tout cela finisse, et tout ça n'a rien de particulièrement terrifiant.
    - Tu sais que ce n'est pas vrai. Tu sais que ta vérité, celle que tu caches, Conor O'Malley, est la chose que tu crains le plus"

    C'est une vérité, un cauchemar, un sentiment que Conor a enfoui au plus profond de lui et qu'il ne veut pas dévoiler, pas même à ses propres yeux - car comment se regarder en face, après ?
    Suite à une fuite, toute son école est au courant que sa mère est atteinte d'un cancer ; ses petits camarades n'osent plus l'approcher, les professeurs ne le punissent plus, car il a tellement de choses tristes à supporter... Il est presque soulagé que trois camarades le rudoient quotidiennement, car ainsi - de façon assez perverse - il existe pour quelqu'un...

    Et Conor est furieux, furieux contre sa mère qui ne guérit pas, furieux contre sa grand-mère qui n'a pas le mode d'emploi pour dialoguer avec des enfants de son âge. Furieux contre son père qui est parti fonder une nouvelle famille aux États-Unis...
    Sa rencontre avec le monstre va lui permettre d'extérioriser cette colère - de manière assez impressionnante. Est-ce le monstre qui le pousse à se comporter de manière violente, ou est-ce lui qui laisse enfin sortir toute cette fureur qui macère en lui depuis trop longtemps ? Le partage entre le rêve/cauchemar et la réalité est dur à distinguer...



    Quelques minutes après minuit / Patrick Ness





    Je salue la force du texte, ces émotions si violentes qu'on ressent intensément à travers tous les personnages - Conor, sa mère mais aussi tout leur entourage.  Cet amour intense et déchirant qui les lie, jusqu'à faire mal. Cette horrible attente de la délivrance, et cette question douloureuse qui reste en suspend et qu'on n'ose s'avouer : quand tout cela finira-t-il ? C'est réellement un roman initiatique qu'on tient entre nos main. Le monstre, dans toute son ambivalence, sert de guide et de catharsis à Conor. Ce récit m'a fait pensé au Livre des choses perdues de Connolly et à Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi de Malzieu - cette tristesse, ce parcours initiatique d'où l'on ressort plus fort même si le dénouement n'est pas forcément heureux.

    Les illustrations de Jim Kay sont splendides d'horreur, et complètent le texte comme jamais je n'ai pu voir dans un roman. A grands traits sombres et énergiques, elles apportent une force terrifiante au récit et donnent corps aux cauchemars de Conor.



    Quelques minutes après minuit / Patrick Ness





    C'est initialement Sioban Dowd qui a jeté les bases de ce roman, mais elle a été emportée par le cancer avant d'avoir pu l'achever. Patrick Ness, en reprenant le flambeau, rend un hommage poignant à l'écrivain disparue. Ce roman a été récompensé par de prestigieux prix en Angleterre en 2011, tous amplement mérités.

    J'ai eu la gorge nouée pendant toute la lecture de cette histoire si poignante... J'en suis ressortie triste - mais apaisée.







    Quelques minutes après minuit
    Patrick Ness
    Gallimard Jeunesse
    18 €





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  • ... On risque bien du malheur, selon la croyance populaire.

    J'avais un ami, qui lorsqu'il voyait une échelle, changeait carrément de trottoir pour ne pas la croiser. C'était assez perturbant - surtout quand on ne se rend compte qu'au bout d'une dizaine de mètres que *pouf* l'ami en question a mystérieusement disparu.
    (Petit aparté à cet ami : si tu lis ceci, sache que c'est à cause de toi que je rédige cet article, tu vois à quel point tu m'a perturbée ??)


    [Superstition] En passant sous les échelles...



    Il est évidemment plus prudent de passer au large d'une échelle appuyée contre un mur - qui sait ce qui pourrait en tomber : un pot de peinture, une tuile, l'ouvrier lui-même...
    Ça, c'est pour le concret. Mais pour la superstition, d'où ça vient ?

    Approchez-vous et ouvrez grands vos mirettes. Là... Vous avez remarqué ? Une échelle appuyée contre un mur forme un triangle. Or, dans de nombreuses civilisations, le chiffre trois - ici représenté par un triangle - est considéré comme sacré. Pour la religion chrétienne, il représente la Sainte Trinité. Or, passer sous une échelle revient à briser cet espace consacré. Gare à ce qui pourrait alors arriver  au malheureux !...
    Il existe toutefois une manière de se protéger : il faut compter les barreaux de l'échelle, et si l'on arrive à un nombre impair, le malheur est contré...
    Cette croyance est tellement forte qu'en France et en Angleterre on faisait passer les condamnés à mort sous une échelle - pendant que le bourreau la contournait (En même temps, des condamnés à mort... Quel malheur pouvait leur arriver en plus de leur proche trépas ?...)

    Et à présent, forts de ce savoir, allez vous promener... Et observez le nombre de gens qui contournent de façon plus ou moins consciente les échelles qui jalonnent leur parcours !


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  • Chez les caribous, on rencontre toutes sortes d'individus : les trop timides, ceux qui se trouvent toujours trop petits, ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez... De page en page, les images étonnantes et poétiques se succèdent, suscitant le rire et la réflexion. Car personne ne s'y trompera, ces drôles de caribous nous parlent avant tout... de nous !


    Tous pareils ! Petites pensées de sagesse caribou / Edouard Manceau




    Ils sont tellement craquants, ces petits caribous tout colorés ! Et comme ils sont tous différents, ils ont bien du mal à s'entendre : entre ceux qui veulent commander, ceux qui souhaitent qu'on les laisse rêver, ceux qui s'habillent différemment, il y a parfois des tensions, et ça peut aller jusqu'à la guerre...

    J'aime beaucoup les dessins naïfs de Edouard Manceau, et j'ai donc craqué pour cet album - je n'aurai jamais cru que des caribous puissent être si mignons. Le texte, simple à première vue, nous parle avec humour et tendresse de notre perception au monde, du regard qu'on porte sur les autres, et véhicule au final de grands thèmes : la tolérance, l'acceptation des différences, les rapports entre les hommes... Car évidemment, sous couvert de caribous, c'est de nous dont il s'agit ici.

    Et au final, "si on se regarde de très très près…quand on enlève nos masques, nos costumes, nos chapeaux et nos plumes… on est tous pareils !"


    Tous pareils ! Petites pensées de sagesse caribou / Edouard Manceau




    Tous pareils ! Petites pensées de sagesse caribou
    Edouard Manceau
    Editions Milan Jeunesse
    12.50 €


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  • Jadis synonyme de liberté et de progrès, l'Union n'est plus que l'ombre d'elle-même, minée par la corruption, les complots de toute sorte et l'incompétence notoire de ses dirigeants. Ces derniers n'ont aucune conscience des dangers qui les guettent : au nord, les clans barbares se rassemblent sous une bannière unique ; du sud, où les forces du Gorkhul étaient jusque-là tenues en respect par l'armée régulière, proviennent de bien curieuses rumeurs. Bayaz, le Premier des Mages, sort de sa retraite millénaire pour sauver ce qui peut encore l'être. Son plan inclus un barbare philosophe, un jeune officier écervelé, un navigateur volubile, une intrépide chasseresse, un apprenti dépressif et surtout une grosse, grosse colère...


    La première loi / Joe Abercrombie




    L'auteur pose ici une histoire assez classique - un groupe de personnages se mettant en quête d'un objet fantastique afin de sauver le monde - avec un style plutôt fluide : on suit les divers personnages en question au travers de chapitres consacrés à chacun d'entre eux. Les batailles sont épiques, et le récit ne manque pas d'humour. Cela pourrait donc être une série de fantasy passe-partout, agréable à lire, mais vite oubliée.

    Ce qui fait tout le génie de cette série sont ces personnages. On a droit à une brochette qui peut sembler convenue : le barbare, l'épéiste sémillant, le mage, la guerrière farouche... Mais voilà, l'auteur a eu la fabuleuse idée de détourner ces personnages-types. Voyez plutôt : Ferro la guerrière est une vraie sauvage qui pue ; Logen le barbare se révèle être un véritable philosophe entre deux transformations en berserker ; Jezal l'épéiste est un jeune homme tout ce qu'il y a de plus écervelé et égoïste... Le reste allant à l'avenant.

    Ils n'ont rien en commun, si ce n'est de se détester cordialement dès le premier regard, mais vont être réunis par Bayaz, mage mythique qui se met facilement en colère - en faisant tout exploser au passage... Un groupe haut en couleur, auquel on s'attache tout de suite (que j'aime cette cruche de Jezal !)

    Mais la palme revient à Glokta. Ancien bretteur adulé de tous, un séjour peu commode dans les prisons de l'ennemi l'ont transformé en infirme à la jambe folle, aux yeux larmoyants et qui ne peut avaler que des aliments liquides pour tout repas. La douleur est devenue une compagne omniprésente de sa vie - jamais la montée d'un escalier n'a semblé si douloureuse et pénible dans toute l'histoire de la littérature. Il est devenu Inquisiteur, faisant de la torture un exercice de haute voltige. Quand il est sur une affaire, il ne la lâche pas, dût-il torturer tout ce qui lui tombe sous la main pour cela. Il est - malgré tout - droit et incorruptible. Il manie en outre à merveille le cynisme et l'auto-dérision.
    Mhm ? Oui oui, c'est bien mon personnage préféré. Vous pensez bien : un salaud qui se salit les mains et qui fait de l'humour noir dans les pires situations... Je fonds immédiatement !

    L'histoire est traitée sans manichéisme - les salauds s'en sortent souvent mieux que les héros, qui ne sont eux-même pas exempts de défauts. Adua la cité du Sud semble bien corrompue face aux hommes du Nord, plus brutaux mais bien plus francs. Ajoutez à cela d'étranges créatures comme les Dévoreurs et les Têtes Plates, et vous obtenez un beau bordel !

    Je ne sais pas si j'arriverai à attendre la sortie en poche du troisième tome...


    La Première Loi
    1/Le premier sang - 9,40€
    2/Déraisons et sentiments - 9,60€
    Joe Abercrombie
    Edition J'ai Lu


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